25 Mai 2014
Arthur, 20 ans, fait la queue à la mairie pour essayer d'obtenir une carte d'identité.
Il a la chance d'être né blond aux yeux clairs, mais n'empêche: une mère née en Thaïlande, une grand-mère née au Maroc et une arrière grand-mère née en Algérie, ça fait un peu trop de pays d' "origine" pour une seule personne. Et la personne du guichet a du mal à comprendre - cousine de la femme de ménage du maire, c'est pas sur ses compétences en histoire de France, entre autres, qu'elle a eu le poste... alors lui expliquer que ses grands-parents ont habité en Thaïlande pour travailler pour la France d'une part, et par intérêt pour une autre culture d'autre part (et avant tout!) ne servira strictement à rien. Mais bon, avec tous les documents qu'il a pu rassembler, il a bon espoir de pouvoir, après la troisième tentative, obtenir sa carte d'identité, et faire une demande de carte d'électeur.
Il arrive enfin au guichet. Donne son numéro de passage. Son dossier. Toutes les copies, que la guichetière tamponne après avoir vérifié les originaux.
"Vous êtes sûr que votre mère s'appelait comme ça? C'est pas très Thaïlandais, comme prénom!"
"Ses deux parents étaient français, Madame."
"Ah ben si vous le dîtes... attendez un peu, je vais quand même appeler mon chef, ça ne me paraît pas très régulier, votre histoire. (se tournant vers son voisin de bureau) et donc comme je te le disais, ma cousine a plus de bonne! Et comment qu'elle va faire, avec ses deux enfants, hein, pour aller travailler chez M. le maire? Elle était efficace, sa bonne, hein, et puis elle coûtait pas cher. Elle avait juste un peu tendance à l'ouvrir concernant les heures de travail, c'est pour ça qu'elle a rien dit, ma cousine, quand elle a reçu sa lettre de convocation à la LPN-IS*"...là-dessus, le chef arrive.
Il n'en revient pas. Il va défaillir. Après l'énervement, il vient de réaliser: ça fait une semaine qu'il ne l'a pas vue. Qu'elle ne répond pas au téléphone. La dernière fois qu'ils se sont parlé, ils se sont engueulés, et c'est une telle tête de mule qu'il ne s'était pas inquiété... Il se souvient de sa mère racontant à son père que ses élèves - des réfugiées Tchétchènes (qui ont depuis loooongtemps été renvoyées chez elles depuis) étaient arrivées en classe le visage en sang, le voile déchiré... et que ça devenait une blague de bandes de jeunes que de tirer sur les voiles des femmes voilées dans la rue. Maintenant, c'est vrai, on n'en voit plus, de voiles, ou alors à la limite dans les fêtes déguisées...
Il prend son mal en patience: le chef inspecte les documents, les valide, prend le dossier. Arthur sort de la mairie. Peut-être que l'injection n'a pas eu lieu? Peut-être qu'il peut encore faire quelque chose? Il sait qu'il existe des réseaux de recours, il faut juste courir après les infos... l'autre soir, après une pièce qu'il a vue dans un théâtre clandé - les subventions culturelles ayant été suspendues dès 2017 aussi pour tous les théâtres en désaccord avec le gouvernement - il se rappelle avoir parlé avec une personne qui en faisait partie. Il faut juste retrouver son nom... et faire attention en enquêtant, parce qu'il y a tellement de faux contestataires, qui font les rebelles à aller dans les théâtres clandés - alors que finalement, ils restent au bar à enquiller des bières et se gonfler le bide en commentant les émissions de télé-réalité de la veille. Les mêmes qui ne bougent pas le petit doigt quand ils voient leurs anciens camarades d'école se faire traiter comme des merdes parce qu'ils n'ont pas la peau assez claire... si tant est qu'ils aient fréquenté l'école publique!